Randonnée sur la moraine du glacier Eqi

13 août 2017

Cinq heures de navigation et 80 km nous séparent d’Ilulissat : nous arrivons avant le lever du soleil sur le majestueux front du glacier Eqi (ça se prononce “é-cri”). Eqip Sermia en groenlandais : c’est parfois sous ce nom que cet incontournable des croisières du grand nord est désigné. Il n’est accessible que par la mer, durant une brève période de l’année.

Le front du glacier Eqi avant le lever du soleil
4h du matin, juste avant le lever du soleil, devant le front du glacier…

Le programme de la journée est consacré aux randonnées. Trois sont proposées par l’équipe d’expédition du Boréal.

  • La première, très difficile, est consacrée à une tentative d’atteindre la calotte glaciaire, à plus de 10km de la côte. 700m de dénivelé à parcourir en bottes, sur une surface parfois rocheuse, souvent boueuse, par un air froid et sec, sans garantie de succès… Tentant mais frustrant en cas d’échec : il suffit qu’un seul des passagers ne puisse pas poursuivre pour que tout le groupe rentre. Pas question de laisser qui que ce soit seul, en raison des ours et des bœufs musqués !
  • Une petite randonnée facile de 2km aller/retour conduira un groupe sur les hauteurs du site puis au petit lac glaciaire à proximité.
  • Nous choisirons la troisième option, intermédiaire : 10km aller/retour pour monter sur la moraine extérieure du glacier Eqi et surplomber toute la baie.

Le soleil commence tout juste à éclairer l’ancien site de la base d’expédition de Paul-Emile Victor, ouverte en 1948. La base est devenue depuis un site ouvert à une forme de tourisme hors du commun : le Glacier Lodge Eqi.

Le Glacier Lodge Eqi

Le Boréal est au mouillage peu après 4h. Le petit déjeuner est précoce aujourd’hui, et les premiers débarquements, pour le groupe de téméraires qui tente de rejoindre la calotte glaciaire, commencent peu après 5h.

Débarquement des passagers au pied du campement de PEV
Les fourmis jaunes sont les organisateurs, les rouges sont les passagers…

La randonnée commence lentement : nous avons un peu plus de 2h pour atteindre notre but. Et tous les passagers ne sont pas des randonneurs aguerris. Le temps de nous équiper correctement nous entamons l’expédition en tête de peloton. Ça nous laisse l’occasion d’admirer un peu le paysage sans la présence des fourmis rouges…

Le Boréal, au mouillage devant le frond du glacier Eqi, face au Lodge
Le Boréal, au mouillage devant le frond du glacier Eqi, face au Lodge

Il va nous falloir contourner la baie, franchir une petite rivière, longer un reste de moraine puis remonter la moraine latérale, à droite du glacier. Une belle balade en perspective…
Quelques pauses, de temps à autres, permettent d’éviter d’étirer notre colonne sur trop de distance : nos naturalistes accompagnateurs sont armés, en prévision de la rencontre avec sa majesté l’ours polaire.

Franchissement d’une petite rivière de fonde glaciaire

Rapidement, le pas assuré, nous accompagnons notre guide, en tête du groupe : une longue et passionnante discussion s’engage sur la géologie de la région, sur le climat, sur les hypothèses liées au réchauffement climatique, etc. Je connais bien le sujet, depuis des années : échanger avec une professionnelle est toujours enrichissant.
Nous approchons du front du glacier Eqi. Il fait plus de 5km de large et plus de 50m de haut. Il est en permanence le siège de bruits semblables a des explosions : le glacier avance, inexorablement, et se fracture avec puissance et violence…

La surface déchirée du glacier
Inutile de songer aller marcher sur le glacier !
Vue sur le glacier Eqi et la baie encombrée de débris de glace
Du haut de sa moraine latérale le glacier prend toute sa dimension

Peu après 9h nous atteignons notre destination, et profitons du paysage : la journée s’annonce splendide, et même s’il fait un peu froid, aucun de nous n’est réellement pressé de rentrer. Nous nous installons sur la moraine, en profitant du spectacle tout en veillant à ne pas déraper en contrebas, dans l’eau glacée de la baie. Entre les contemplatifs et les photographes, tout le monde y trouve son compte !

Bien installés sur la moraine, chacun profite du paysage extraordinaire

Tous les glaciers avancent, lentement. Ce mouvement est invisible à l’œil nu mais ses effets sont pourtant perceptibles par les craquements qui déchirent le silence suivent de temps en temps un mouvement d’effondrement sur le front du glacier. Un pan de glace s’est détaché et a sombré dans la baie. La glace ayant été comprimée, cisaillée, soumise à des contraintes énormes jusqu’ici, se décompose en d’innombrables petits fragments : le “brash”. Quand le glacier est plus gros, ou que sa glace est plus solide, l’opération libère un iceberg…

Un bloc de glace vient de s’effondrer sur le front du glacier

Nous sommes partis avec nos jumelles : elles nous permettent de découvrir les détails du front du glacier, les grottes et anfractuosités qui le parcourent. Les couleurs sont données par le soleil qui traverse la glace. Bleue, turquoise, blanche : la teinte indique l’age de la glace.

Le front du glacier est chaotique, torturé, fragmenté

10h, il est déjà temps de repartir. L’avantage d’avoir un bon pas c’est qu’on peut s’attarder un peu plus que les autres, dont la procession s’étire déjà, loin devant. Nous allons une nouvelle fois passer sur la petite langue de roche décomposée, en face de nous, qui sépare la baie d’un petit lac aux eaux troubles. C’est le reste d’une moraine frontale d’un glacier disparu.

La procession des randonneurs rejoint son hôtel flottant

Le ruisseau que nous franchissons est glacé : entre 3°C et 5°C tout au plus. Inutile de songer à boire de cette eau naturelle. Elle est trouble en raison des alluvions arrachés à la roche par les glaciers, un peu plus haut. Et elle est aussi contaminée par les déjections des quelques animaux qui vivent ici.

L’eau, glacée, provient de la fonte des neiges et des glaces, un peu plus haut

Nous l’avons découvert lors de la randonnée à Ilulissat : le Groenland est infesté d’une sorte de moustique envahissant et très pénible. Des nuées entières se posent sur nous dès que le vent s’arrête : la moustiquaire est indispensable !

Dès que le soleil apparaît les moustiques attaquent !

Le franchissement du ruisseau est parfois acrobatique : un peu d’entraide entre randonneurs et tout se passe bien…

Pas question de glisser dans l’eau !

Au loin, le Boréal attend tous ses passagers : nous allons appareiller à 13h30, pas question de nous attarder. mais comme la météo est clémente et que nous avons encore un peu de temps, nous allons aller faire un tour dans la baie, pour voir les glaçons de plus près…

Les zodiacs vont nous faire découvrir la baie depuis la surface de l’eau

De loin, les naturalistes sont reconnaissables à leurs tenues jaunes. Ce sont eux qui pilotent les Zodiacs. La glace qui recouvre la baie peut parfois rentre cette tâche délicate…

Toujours périlleux le pilotage d’un Zodiac par ces conditions de glace…

Chacun est censé le savoir ici : si le front du glacier s’effondre et libère un iceberg, la vague qui va se former emportera tout Zodiac qui se trouverait trop près. Alors les consignes sont sans cesse répétées à la radio : “Pas plus près !”. Pour bien comprendre le risque, il suffit de regarder les vidéos de cette page du Washington Post. Mieux vaut ne pas se trouver dans cette situation en Zodiac ! Et voilà aussi pourquoi il est dangereux de se promener au bord de l’eau…

Attention ! Pas plus près !

Quand on s’approche par la mer du bord du glacier on peut observer de plus près la rencontre entre ces deux éléments solides. La roche, parmi les plus vieilles du monde ici au Groenland, est usée, érodée, travaillée par la glace en mouvement. Les fragments de roche emportés par le glacier finissent par constituer une sorte de poussière très fine, un sable plus ou moins grossier, un amoncellement de cailloux et de rochers usés par le temps : la moraine. Le long du glacier on l’appelle moraine latérale. Mais devant lui, au fond de l’eau, il y a la même chose…

La rencontre spectaculaire entre la glace et la roche

Quand un pan latéral du glacier s’effondre dans la mer, l’iceberg n’est pas blanc ou bleu comme on en a déjà l’habitude. Il est noir…

Dans la baie, les fragments du glacier ne sont pas toujours blancs…

De près, le “brash” est visiblement constitué d’innombrables fragments de glace. Ces fragments sont remplis de petites fissures, de bulles d’air emprisonnées il y a des centaines ou des milliers d’années. Tout ceci aidera à les décomposer peu à peu, avant que le reste ne fonde au soleil d’été.

Le “brash”, cet ensemble de blocs de glace qui peut recouvrir toute la surface de la baie

Encore une belle destination pour les amateurs de roche et de glace !

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À méditer…

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Frantz Fanon

Mer de Baffin